Mama

Voilà des semaines que je cherche à faire naître sur le papier le fruit de mes pensées.
Mais je suis devenue incapable. Incapable de créer. J’ai cessé d’imaginer depuis que je suis perdue entre deux mondes. Ainsi est mon trouble, mon fardeau, ma maladie. Je souffre de ne plus différencier le réel de l’irréel. Et cette fois, je réalise un songe ; je parle, pour moi, et pour ceux qui se taisent.

Je souffre de mama.
Mama, c’est cette rupture avec le monde. Votre monde. Petite, on me disait toujours que j’avais l’air ailleurs, que j’étais dans la lune. Ça semblait normal. A dix-huit ans, on me faisait les mêmes remarques. C’est amusant de ne pas être sur la même planète que les autres. Pour moi, c’est différent.
Mama, c’est l’isolement, le repli sur soi, la peur de l’autre. Mama, c’est le délire, les crises qui me tiraillent les entrailles. Mama, c’est une foule d’insectes qui grouille à l’intérieur de mon corps et qui glisse sur mon âme.

Mama, on a mis du temps à la voir sous son vrai jour. Elle est intelligente, elle évolue dans l’ombre. Elle est arrivée silencieusement. Personne ne l’a vu venir, pas même moi. Elle m’a d’abord doucement bercé, comme si elle était la plus innocente des âmes sur Terre, elle m’a posé dans un cocon, une bulle de confort dans laquelle je m’installais petit à petit, jusqu’à m’y enfermer.

Je gardais ma paranoïa pour moi, mes crises de colères passaient pour une démonstration d’un ras le bol du monde psychiatrique aux yeux de mes parents. Je me répétais : « ça va passer, ça va aller ». Mais plus les jours défilaient et plus je sentais mama grandir en moi sans être capable de mettre le doigt dessus.

Et puis, un jour, on a su.

 » Ah mais c’est indéniable, vous souffrez de troubles schizophréniques. « 

L’effet d’une bombe. J’avais enfin compris la puissance de cette expression. A partir de là, tout mes mondes s’écroulaient. Je regardais, inerte, les bras ballants, chaque parcelle de ma vie tomber en miettes, en morceaux, en vrac. Et je me retrouvais sous les décombres, le souffle court. Trop court.

Alors c’était ça, la paranoïa, les crises d’angoisse, l’isolement social, la dépression, les émotions qui s’épuisent, la dysmorphophobie, les pensées trop nombreuses, la mémoire qui flanche, les bizarreries, les terreurs nocturnes, les insomnies, l’anorexie mentale, les idées noires, la peur permanente, la sensation de vivre dans un autre monde, tout s’expliquait. Même mon échec dans les études s’expliquait tristement. Et ma mère qui pense tout haut ; j’étais celle en qui elle mettait tous ses rêves de grandeur, tous ses espoirs de réussite. J’avais tout gâché, je l’avais déçu.

Je me suis sentie plus seule que jamais. J’avais besoin de savoir ce qui n’allait pas chez moi, mais je ne voulais pas qu’on me dise que mon cerveau était malade. Je n’ai jamais voulu qu’on m’annonce que je souffrais de troubles qui ne guérissaient pas. En entendant le diagnostic tomber, je me suis rappelée des fois où j’allais chez le médecin parce que je toussais un peu trop, ou parce que j’étais enrhumée. Je ne sais pas depuis combien de temps je n’ai pas été malade. Physiquement parlant. Mais ça me semblait si loin. Et j’étais si seule, face à ce psy qui ne savait pas quoi dire d’autres si ce n’est me rappeler de ne pas arrêter de prendre mes cachets, me rassurer en me disant que je ne souffrais pas d’un cas grave de schizophrénie. Mais je m’en moquais, de tout ça. J’avais juste envie de fuir tout le monde, de disparaître de la surface de la Terre comme si la peste à qui j’avais donné un nom avait fait son nid en moi.

J’ai commencé à découvrir ce qu’on appelle la psychophobie. La schizophrénie est une cible de choix pour ceux qui ne connaissent rien aux maladies mentales. Nous, malades, sommes des monstres, des tueurs en série, des déséquilibrés, des fous à travers les médias. Les films nous présentent comme des personnes aux personnalités multiples et nous confondent ainsi avec un tout autre trouble. Les schizophrènes n’élèvent pas la voix, trop effrayés par le regard si critique des autres si sain d’esprit.

Pourtant il y a cet homme, « Carl », à l’hôpital, qui souffre de la même maladie que moi. Quand je le vois, il me demande toujours comment je me sens, si le moral est là, il se souvient de tout ce que je lui raconte, et lui me raconte sa vie, son amour perdu, son intérêt pour les maladies psychiatriques et leurs origines. C’est quelqu’un de très cultivé, comme tous les schizophrènes que je connais, lui en particulier sur la psychologie. Il essaie de m’aider à comprendre d’où vient mon trouble, il m’encourage à toujours prendre mes cachets, à aller à mes rendez-vous, à faire quelque chose de ma vie.
Cet homme a une grande âme et un cœur énorme.

Mais certains le qualifieraient de « fou » parce qu’il a le malheur d’avoir un cerveau qui dysfonctionne.

Certains nous regarderont de haut par refus, par peur, de nous connaître plus.

Cela fait des semaines que je cherche à parler de ma maladie sous n’importe quelle forme pour faire comprendre que je ne suis pas plus différente qu’un autre, pour dire que mes souffrances sont valides et que j’ai le droit d’avoir mal, pour parler pour d’autres qui préfèrent se cacher.

Je n’arrive plus à grand chose aujourd’hui, et j’ai peur de voir mon état empirer de jour en jour. Mais si un simple témoignage comme le mien peut faire élever d’autres voix, pour briser les tabous, pour faire tomber les murs qui séparent nos deux mondes, c’est que j’aurais réussi.

Arrêtons de diaboliser les maladies mentales.

Une réflexion sur “Mama

  1. Ton visage de maladie ignominieuse
    Allez ne fait pas ta menteuse,
    Tu viens me taquiner
    Ou suis-je en train de rêver ?
    Tu m’attaques et m’agaces
    Me laisses des traces,
    Et toi là bas « schizophrénie »
    Laisse moi je régis.

    Tu régis quoi ?
    Tes ressentis et émois,
    Ne me laisse pas
    Pas comme cela.
    Euphorie fantaisie
    Folle nuit dans l’oubli,
    Et tout bascule dans le noir
    Ne laissant rien voir.

    Voir l’angoisse
    La crainte et la menace,
    Replonger à nouveau
    De retourner sur l’échafaud.
    Haut ou bas
    Laisse moi,
    « Au revoir schizophrénie »
    Ne me fais pas la guerre.

    Ou je crierai si haut et si fort
    Que je réveillerai les morts,
    Ne viens plus comme naguère
    Ne me laisse pas dans le mystère.
    D’une maladie
    D’une folie,
    J’ai battu la misère
    Amoureuse en colère.

    Je ternirai la barrière
    Si mince et éphémère,
    Entre le rêve et la réalité
    Je me suis réveillée.
    Ne pouvant plus dormir
    Prête à assouvir,
    Le moindre de tes désirs
    Alors fais moi plaisirs.

    Laisse moi en paix
    J’ai fini de rêver,
    Tu seras toujours là
    Mais ce que tu ne sais pas,
    C’est que j’aurai ta peau
    Nue ou en oripeaux,
    Bouffée délirante aïgue
    Je n’avalerai pas ta ciguë.

    Mes doutes se sont apaisés
    Laissant place à une douce journée,
    Même la pluie glaçante
    N’aura raison de moi la battante,
    Laissant place au soleil de mes envies.
    « Au revoir » sale maladie.

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